Comment "mieux" se disputer avec ses proches?
(Et pourquoi c’est un acte politique)
Distinguer conflit et violence : une étape essentielle
Toutes les disputes ne se valent pas. Il y a une différence fondamentale entre un conflit relationnel et une situation de violence.
Conflit
Un conflit peut être désagréable, mais il repose sur une relation d'égal.e à égal.e, même s’il y a des tensions ou un rapport de pouvoir lié au contexte (par exemple professionnel dans le cas de la hiérarchie au travail). Dans un conflit, chacun·e peut s’exprimer, même si ce n’est pas évident ou que cela prend du temps. Le compromis, l’écoute, l’interaction sont encore possibles.
Violence
La violence repose sur un rapport de domination, une relation inégalitaire où l’une des personnes prend le pouvoir sur l’autre — que ce soit par la peur, le contrôle, la dévalorisation ou l’emprise. La réciprocité n’est plus possible, il y a atteinte à l'intégrité physique et/ou morale. Et c’est interdit par la loi.
Si tu sens que ce que tu vis dépasse le cadre d’un désaccord ou d’un malentendu, si tu as peur, si tu te sens rabaissé.e, isolé.e, contrôlé.e, si la “discussion” ressemble toujours à une prise de pouvoir, parles-en.
Il existe des outils comme le violentomètre, pour t’aider à repérer les signaux de violence dans une relation. Tu peux aussi consulter des ressources ici.
Et si se disputer n’était pas un problème…
Quand on cherche à vivre des relations plus conscientes et alignées avec qui on est — notamment quand commence à s’affirmer, poser ses limites, sortir des schémas où on s’est longtemps tu.e — les disputes arrivent.
Et oui, c’est normal. Elles font partie du paysage relationnel. Et en réalité, c’est même plutôt sain.
La question n’est pas : “Comment ne plus jamais se disputer ?” *
Mais plutôt : “Comment mieux le faire ?”
Une dispute est comme un appel à réajuster, à mettre à plat, à clarifier. C’est ce moment où quelque chose en nous ne peut plus rester silencieux. C’est ce moment où on peut enfin dire :
- Là, ça ne me va pas. J’ai besoin que ça change.
- Je ne me sens pas entendue.
- Est-ce qu’on peut trouver un autre fonctionnement ?
- Comment est-ce qu’on fait pour que ça soit plus juste pour nous deux ?
- Comment te dire ce que je ressens sans qu’on se blesse ?”
Ce n'est pas un échec mais plutôt un tremplin vers plus de clarté, de respect, d’authenticité.
Alors… comment transformer ces tensions en espaces de vérité, de soin, d’ajustement de la relation ?
Pourquoi ça part (parfois) en vrille ?
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Parce qu’on n’écoute plus vraiment : on attend juste de pouvoir répondre.
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Parce qu’on veut être entendue, pas comprendre.
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Parce qu’on crie, coupe la parole, balance des trucs qu’on pense à moitié.
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Parce qu’on se déconnecte de soi : tétanisée, en mode robot, ou au contraire hyperagressif.ve.
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Parce qu’on avale des microfrustrations, et que tout ressort d’un coup.
Et si on est nombreux.ses à vivre ça, c’est aussi parce qu’on ne nous a pas appris à nous disputer. Si tu as été socialisé.e en tant que femme, il a aussi fort à parier que tu as plutôt appris à t’écraser, être conciliant.es, compréhensif.ves, à ne pas faire d’histoires et minimiser ce que tu es, penses, ressens.
Se disputer, c’est politique
“Mieux se disputer” n’est pas qu’une question de communication. Les disputes et la manière dont on les navigue ne sont jamais neutres. Elles sont teintées par nos histoires, nos émotions, mais aussi par des rapports de pouvoir, de genre, par les normes sociales. Alors oui, vouloir bien se disputer, c’est politique. C’est refuser comme deux seules options le silence ou la violence. C’est apprendre à exister sans s’écraser. C’est apprendre à dire sans écraser. C’est rendre légitime ce qu’on pense, ressent, traverse même quand nos voix sont habituellement peu entendues. C'est chercher à créer des liens qui nous ressemblent, des relations où chacun·e peut prendre sa place, où chacun·e peut être entier·e, avec ses émotions, ses besoins, ses limites. |
D’où viennent nos réactions ?
Nos manières de réagir dans une dispute ne sortent pas de nulle part. Elles viennent de nos histoires personnelles, mais aussi de notre socialisation :
- Certain.es sont tétanisé.es au moindre signe de conflit, au point de ne plus pouvoir dire un mot.
- Certain.es ont plutôt tendance à fuir le conflit.
- D’autres à chercher à apaiser à tout prix (notamment en priorisant l’autre et en s’excusant démesurément).
- D’autres encore à monter au front (possiblement car on a intégré que c’était la seule façon de se faire respecter)
Dans le(s)quel(s) des ces schémas te retrouves-tu ? Je t’invite à observer avec beaucoup de douceur tes réactions, sans t’autoflageller. Ces réactions sont souvent des mécanismes de protection. Et elles ne sont ni bonnes ni mauvaises en soi, elles sont là parce qu’un jour, elles nous ont protégé.e.s.
8 leçons pour apprendre à mieux se disputer
(sans s’oublier)
1. Se rappeler que se disputer, c’est sain
Une dispute n'est pas toxique par essence, c’est un point de friction qui peut permettre à la relation de grandir. Oui, c’est inconfortable. Mais ça peut aussi être libérateur, si c’est fait dans le respect de soi et de l’autre. Elle peut nous permettre de mieux nous comprendre (besoins, nos limites, nos blessures) et de mieux comprendre l'autre.
2. Choisir le bon moment
Tu souhaites aborder un point de tension dans la relation ? Demande d’abord si l’autre est disponible. Vraiment disponible (pas entre deux mails ou après une journée épuisante).
Cela demande aussi de considérer aussi ton propre état : es-tu en état d’entamer une discussion inconfortable ? Reporter, différer une discussion , ce n’est pas fuir, c’est créer les conditions pour que ça se passe au mieux.
En revanche, si le sujet n'est pas remis sur le tapis, il y a de forte chance pour qu’il revienne sous une autre forme et encore plus fort.
3. Employer le juste ton
Tu peux être ferme sans être blessant.e. T’as le droit d’être en colère, mais veille à utiliser un ton qui n’attaque pas la personne. Parle le plus possible en "JE". Essaie de sortir du reproche pour maximiser tes chances d’entrer dans un échange constructif et pour ne pas dire des choses que tu pourrais regretter.
4. Parler de tes émotions et de tes besoins
L'autre ne lit pas dans tes pensées. Tu ne peux pas lui reprocher de ne pas répondre à un besoin que tu n’as jamais exprimé.
- Tu m’écoutes jamais → “J’ai besoin de me sentir écoutée sincèrement.”
- Tu penses qu’à toi → “Est-ce qu’on pourrait passer un vrai moment ensemble cette semaine ?”
C’est plus clair. Plus respectueux. Et souvent… plus efficace !
5. Écouter activement
Ecouter pour comprendre et pas forcément pour répondre ! On est tenté·e de couper, d’argumenter, de contre-attaquer et si on essayait de davantage d’écouter ?
Écouter, c’est pas juste se taire. C’est faire de la place à l’autre. Reformule, pose des questions, montre que tu essaies de comprendre, même si tu n’es pas d’accord :
- “Ok, je vois comment tu l’as vécu.” “Donc si je comprends bien, quand j’ai dit ça, toi tu t’es senti.e…”
Souvent, le simple fait de sentir sincèrement écouté.e désamorce les tensions.
6. Rester sur le sujet (et différer le reste)
Si la dispute vire à l’inventaire où on déroule le parchemin des sujets non digérés depuis X mois, c’est peut-être que les choses ne sont pas dites au fur et à mesure. C’est important d’en avoir conscience mais rester focus sur un sujet à la fois permet généralement d’être plus efficace. Sinon, les disputes peuvent s’éterniser sans qu’on ne sache plus vraiment pourquoi on se prend la tête.
On garde en tête les sujets qui remontent à la surface, et on essaie de poser un moment pour les réaborder. “Je veux bien reparler de ça… mais plus tard. Là, j’aimerais qu’on aille au bout de ce sujet d’abord.”
7. Faire une pause si ça tourne au chaos
Quand ça commence à tourner en rond, que vous vous répétez, quand tu commences à dire des choses que tu as peur de regretter → STOP.
“Là, ça ne mène plus à rien. On fait une pause et on reprend quand on aura un peu redescendu ?”
C’est pas une fuite mais un acte de soin, pour toi, pour l’autre, pour la relation. La solution vient rarement dans le pic du conflit.
Oui je sais c’est dur à intégrer, mais la plupart du temps quand on aborde des sujets intenses, il faut accepter de se laisser du temps. Du silence. Du recul.
8. Réparer, sincèrement
Tu t’es emporté.e ? Tu as été sèche ? Dis-le. Reconnaître que tu as dérapé ne t’enlève rien. Au contraire, prendre ta juste part de responsabilité renforce la relation de confiance. T’excuser ce n’est pas effacer ce que tu as ressenti, dit ou fait, mais reconnaître que tu veux faire mieux.
Apprendre de la dispute (avec soi-même)
Après une dispute, quand les émotions sont retombées, prends un moment pour t’écouter. Pour comprendre.
Comment je réagis, moi, face au conflit ?”
Etre conscient.e de nos réactions et état nous permet d’être en capacité d’avoir une dispute plus constructive.
En dehors de la dispute, en repensant à d’autres situations… est-ce que j'ai tendance à ...
- Couper la communication ?
- Céder trop vite ?
- Monter dans les tours ?
- Vouloir sauver la relation au détriment de moi-même ?
- M'excuser beaucoup ?
Et surtout, qu’est-ce que ça réveille en moi ?
Est-ce que je me sens rejetée ? Pas importante ? Inaudible ? Menacée ?
Ces prises de conscience sont puissantes, surtout si tu veux changer tes schémas, petit à petit.
Tu veux creuser ce sujet ?
Post-dispute : ce qu’on peut poser ensemble
Une fois l’orage passé, pourquoi ne pas envisager une discussion calme se demander
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“Qu’estce qui a été difficile pour toi dans cette dispute ?”
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“Qu’estce qu’on pourrait faire différemment la prochaine fois ?”
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“Estce que tu préfères qu’on évite de se couper la parole, par exemple ?”
Exemples concrets de “règles relationnelles” :
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Se demander si l’autre est dispo avant de lancer un sujet tendu.
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S’autoriser à faire une pause si ça devient trop.
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S’engager à revenir parler même si c’est après.
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Ne pas régler de conflits par message quand c’est trop chargé émotionnellement.
Se disputer autrement
Apprendre à se disputer autrement ne veut pas dire mener toutes nos conflits à la perfection et ne jamais déraper mais essayer. Essayer de créer des espaces où la colère, les désaccords, les besoins ont leur place — sans pour autant nuire à la relation. C’est repolitiser nos émotions, notre colère, notre besoin d’être entendu.es.
C’est apprendre à dire : “J’existe. J’ai besoin. Je mérite d’être respectée. J’ai ma place et toi aussi”
C’est pas toujours fluide. Pas toujours joli. Mais c’est vivant et tellement utile à la construction de relations plus saines et équilibrées.